Bibracte, la cité perdue des Éduens
Au coeur du Morvan, au bout des routes sinueuses, se dresse un musée, puis, sur les hauteurs, les pierres affleurent, laissant deviner les traces d'une vie, d'une ville, dont les vestiges nous ramènent 2000 ans en arrière.
L'énigme Bibracte
Bibracte apparait pour la première fois dans nos sources pendant la guerre des Gaules, c'est César qui en parle dans son Commentaire sur la guerre des Gaules :
[1,23]
Le lendemain, comme il ne restait plus que deux jours jusqu'à la distribution du blé à l'armée, et que Bibracte, la plus grande sans contredit et la plus riche des villes des Héduens, n'était plus qu'à dix-huit mille pas, César crut devoir s'occuper des vivres, s'éloigna des Helvètes et se dirigea vers Bibracte. (…)
[7,55]
En y arrivant, Éporédorix et Viridomaros apprirent où en étaient les choses dans leur pays ; que Litaviccos avait été reçu par les Héduens, dans Bibracte (Autun), ville de la plus grande influence (…)
[7,63]
La nouvelle dé la défection des Héduens propagea la guerre. Des députations sont envoyées sur tous les points ; crédit, autorité, argent, tout est mis en usage pour gagner les différents états. Nantis des otages que César avait déposés chez eux, ils menacent de les faire périr pour effrayer ceux qui hésitent. Les Héduens invitent Vercingétorix à venir conférer avec eux sur les moyens de faire la guerre. II se rend à leur prière ; mais ils prétendent qu'on leur défère le commandement en chef ; et comme il leur est disputé, on convoque une assemblée de toute la Gaule à Bibracte. (…)
[7,90]
(…) II établit Q. Tullius Cicéron et P. Sulpicius dans les postes de Cabillon (Châlons) et de Matiscon (Mâcon), au pays des Héduens, sur la Saône, pour assurer les vivres. Lui-même résolut de passer l'hiver à Bibracte. Ces événements ayant été annoncés à Rome par les lettres de César, on ordonna vingt jours de prières publiques.
[8,2]
Pour ne point laisser aux Gaulois le temps de s'affermir dans cette opinion, César, après avoir mis le questeur M. Antonius à la tête de ses quartiers d'hiver, partit lui-même de Bibracte avec une escorte de cavalerie, la veille des calendes de janvier, et se rendit près de la treizième légion, qu'il avait placée sur la frontière des Bituriges, à peu de distance de celle des Héduens ; il y ajouta la onzième, qui en était la plus proche. Laissant deux cohortes pour la garde des bagages, il conduisit le reste de l'armée dans le pays fertile des Bituriges, qui, possédant un vaste territoire et beaucoup de places fortes, n'avaient pu être arrêtés par la présence d'une seule légion dans leurs préparatifs de guerre et leurs projets de révolte.
[8,4]
(…) puis, ayant renvoyé les légions dans leurs quartiers, il revint lui-même à Bibracte après une absence de quarante jours. (2) Pendant qu'il y rendait la justice, les Bituriges lui envoyèrent des députés pour implorer son secours et se plaindre des Carnutes qui leur avaient déclaré la guerre. (3) À cette nouvelle, et bien qu'il ne se fût pas écoulé plus de dix-huit jours depuis son retour à Bibracte, il tira les quatorzième et sixième légions de leurs quartiers d'hiver, près de la Saône (…)
Les extraits présentés ici sont divers et variés et évoquent des moments différents de la Guerre des Gaules. Cependant, nous pouvons remarquer plusieurs choses.
La première est que cette traduction du XIX ème siècle disponible en ligne ici, nous indique que la ville de Bibracte est l'actuelle Autun. Aujourd'hui, nous savons que ce n'est pas le cas, Bibracte est bien un lieu d'occupation distinct d'Autun, cité Gallo-Romaine située effectivement à quelques kilomètres du site archéologique de Bibracte.
La seconde, est que de toute évidence Bibracte est un lieu important pour les peuples qui habitent la région, particulièrement les Éduens, car c'est une cité éduenne, bien sûr, mais aussi pour les autres populations qui se retrouvent à Bibracte pour désigner Vercingétorix commandant des armées gauloises. C'est aussi un endroit qui a l'air de présenter suffisamment d'avantage et de commodités pour attirer l'attention de César qui reconnait lui même l'importance de la ville. Ceci a créé la confusion pour les générations suivantes avec Autun, dont l'héritage gallo-romain est encore visible.
L'exemple d'un oppidum gaulois
Pourtant, il ne faudrait pas aller trop vite ! A l'époque moderne et au début du XIXème siècle, le consensus selon lequel Bibracte serait l'actuelle Autun est relativement acquis par toute la communauté scientifique. Toute ? Non, quelques irréductibles curieux s'interrogent toujours et encore !
Jacques-Gabriel Bulliot, un marchand et membre de la société éduenne des sciences et des arts, trouve que cette identification ne colle pas. D'après le témoignage de Jules César, l'oppidum gaulois est idéalement situé à l'abri des envahisseurs en hauteur, or, Autun est dans la vallée. C'est en ayant une bonne connaissance de la région, de la topographie et cartes qu'il tourne son attention vers le Mont Beuvray, dont le relief ne correspond pas tout à fait à un environnement naturel, ce n'est pas une montagne forgée par la nature, il y a, même sous les arbres, des signes de terrassement. Nous sommes alors en 1864 et Napoléon III, amateur d'histoire et l'un des fondateurs du Roman National français investit beaucoup dans les fouilles archéologiques et grâce à ses découvertes prometteuses Jacques-Gabriel Bulliot obtient des financements pour aller plus loin. Malgré un arrêt des recherches après la Première Guerre mondiale dû à une perte d'intérêt de l'État pour les sites archéologiques, le site reste célèbre et sous l'impulsion de François Mitterand les fouilles reprennent, découvrant le site archéologique que nous pouvons visiter aujourd'hui.
Les découvertes sont nombreuses et permettent d'appréhender la question de l'Oppidum gaulois, Bibracte étant le plus grand site archéologique celte de nos jours. Un exemple majeur de Bibracte est le murus gallicus, dont César avait reconnu l'ingéniosité et la solidité ! Les enjeux de Bibracte permettent aux historiens et aux archéologues de se requestionner sur l'oppidum, structure de la société celte mal connu, qui passe de simple place fortifié à véritable ville. Bibracte se rend témoin de l'artisanat celte et de son mode de vie jusqu'à la romanisation.
L'exemple d'une romanisation
Bibracte, c'est la capitale des Eduens, ce peuple allié des Romains depuis longtemps et le point de départ de la Guerre des Gaules. Il est toujours complexe d'évoquer la romanisation, plus ou moins lente, plus ou moins voulue, plus ou moins effective, à quel point un peuple peut-il être qualifié de « romanisé » ? Il est ici question d'observer les faits et de constater le mode de vie des habitants. Longtemps en contact avec les Romains et sans renoncer à leur propre culture, ils semblent apprécier certain trait romain. C'est ainsi que l'on trouve à Bibracte des Villae, « à la romaine », alors que Bibracte a été dépeuplé peu après la conquête romaine au profit d'Autun. Un mode de vie donc plus qu'une conversion.
Un centre européen pour la recherche et la médiation
Aujourd'hui Bibracte est un site archéologique, un musée et un centre de recherche, l'un des plus importants d'Europe. En visitant Bibracte, c'est une véritable plongée au coeur du quotidien celte qui nous attend, avec une mise en scène interactive qui nous permet de comprendre où nous mettons les pieds. Bibracte c'est aussi un centre européen de la recherche qui accueillit en 40ans près de 8000 chercheurs de toute l'Europe. C'est que Bibracte intéresse au niveau européen, de la recherche au politique à la poursuite d'une identité européenne qui pourrait aussi être celle des celtes ?
Pour aller plus loin :
https://www.bibracte.fr/
Archéologia n°40, "Bibracte, 40ans de fouilles", septembre 2024
Commentaire sur la Guerre des Gaules, Jules César